« Quand la mondialisation se grippe, les coûts deviennent prohibitifs », affirme le patron de Saint-Gobain

« Quand la mondialisation se grippe, les coûts deviennent prohibitifs », affirme le patron de Saint-Gobain


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« Quand la mondialisation se grippe, les coûts deviennent prohibitifs », affirme le patron de Saint-Gobain 1

Le niveau actuel d’inflation vous inquiète-t-il ?

Davantage encore que l’inflation, depuis dix-huit mois, la préoccupation numéro un de nos clients, c’est la disponibilité des matériaux. La situation s’était améliorée l’an dernier après avoir été très difficile au premier semestre 2021 mais elle reste tendue. Personne ne veut se retrouver bloqué sur un chantier à attendre les tuiles du toit alors qu’il a déjà les fenêtres et les plaques de plâtre.

A titre d’exemple, aux Etats-Unis, nous avons eu l’an dernier 264 cas de force majeure ayant perturbé nos chaînes d’approvisionnement, alors qu’en temps normal nous avons trois ou quatre cas, en raison d’un ouragan ou d’un autre événement !

Grâce à notre nouvelle organisation très efficace, car décentralisée par pays, les équipes ont su faire face et font le maximum pour anticiper en communiquant au mieux avec nos clients. Dans le monde du bâtiment, tout le monde a compris que l’on ne pouvait plus faire des devis à six mois.

Mais l’inflation vous complique quand même aussi la vie ?

En 2021, les prix de l’énergie et des matières premières ont crû de 1,5 milliard d’euros pour Saint-Gobain, soit une hausse de 15 % que nous avons répercutée à hauteur de 6,7 % dans nos prix à travers le monde. Cette année, les surcoûts pourraient atteindre 3 milliards. Nous n’avons pas eu d’autre choix que d’augmenter nos prix de 14 % sur le premier trimestre par rapport au premier trimestre 2021.

Pour encaisser ce choc et une telle volatilité, il faut être solide sur le plan industriel, mais aussi accompagner ses clients en allant au-delà de la simple fourniture de produits. C’est pourquoi nous apportons plus de valeur ajoutée à travers des solutions, que cela soit des systèmes de produits intégrés ou bien des services comme la logistique sur mesure, le crédit gratuit aux artisans, une prolongation des devis, la prescription ou le conseil digital, etc. C’est comme cela que l’on ajuste au mieux notre « pricing power ».

Sommes-nous entrés dans un cycle d’inflation durable ?

Il y a la part conjoncturelle et celle liée à la crise géopolitique, mais il y a aussi des facteurs structurels qui vont être durablement inflationnistes. La nécessité de passer à une énergie verte pour décarboner nos économies va coûter plus cher en raison des investissements à réaliser. On constate aussi que la mondialisation, qui a permis de tirer les prix vers le bas pendant des décennies, a atteint une limite.

Saint-Gobain, acteur multilocal, est moins impacté que d’autres car nous produisons à proximité des zones de consommation. En effet, outre le fait qu’ils sont adaptés aux modes constructifs propres à chaque territoire, beaucoup de nos produits sont lourds, volumineux et coûteux à transporter sur de longues distances.

Dans les années qui viennent, nous allons sans doute revenir vers une économie plus axée sur des boucles locales et des zones économiques régionalisées favorisant les circuits courts.

Dans l’industrie, quand la mondialisation se grippe, les coûts deviennent prohibitifs et la qualité de service se détériore vite. On le voit lorsque des ports chinois se retrouvent fermés plusieurs semaines ou lorsque le prix des containers est multiplié par dix en deux ans.

La « mondialisation désorganisée » coûte très cher. Dans les années qui viennent, nous allons sans doute revenir vers une économie plus axée sur des boucles locales et des zones économiques régionalisées favorisant les circuits courts.

Le contexte inflationniste ne risque-t-il pas de nous pousser à différer les investissements dans la transition écologique ?

Quand on est confronté à une urgence médicale, on ne repousse pas la décision ni la dépense ! Nous sommes aujourd’hui dans la même situation sur le plan climatique. Les actions que nous n’engageons pas aujourd’hui n’auront pas des conséquences dans cinq générations mais dans un très proche avenir. Agir dès maintenant est donc vital.

Nous devons aujourd’hui modifier nos modes de production et de vie pour aller vers une plus grande sobriété.

Dans les années 1970, les chocs pétroliers nous avaient forcés à adapter nos comportements et nos consommations. Nous devons aujourd’hui modifier nos modes de production et de vie pour aller vers une plus grande sobriété. Mais ne perdons pas de vue que la transition climatique, si elle est une urgence, est aussi une chance.

Dans quelle mesure est-ce une chance ?

Rien qu’en France l’an dernier, la rénovation des bâtiments a permis de créer près de 100.000 emplois non délocalisables. Mais surtout, ceux qui, au niveau d’une ville ou d’un écoquartier comme à Stockholm, d’une région ou d’un pays s’engagent en faveur de la transition écologique, en feront un véritable facteur d’attractivité et de leadership économique. De même pour les entreprises.

Chez Saint-Gobain, nous investissons dans l’innovation et la différenciation technologique pour viser la neutralité carbone. On produit en réduisant nos émissions. Nous allons même pour le verre ou les plaques de plâtre jusqu’à des séries de production zéro carbone. Mais nous offrons aussi des produits actifs qui captent des composés organiques volatils pour améliorer la qualité de l’air ou des vitres à couches filtrantes qui permettent de véritables économies d’énergie.

Mais tout cela va coûter de plus en plus cher ?

Chez Saint-Gobain, entre 2017 et 2021, nous avons réduit nos émissions de CO2 de 23 %, alors que nous n’avons cessé de nous développer et, à rentabilité équivalente, nous avons divisé par deux nos émissions. La décroissance n’est donc pas une fatalité. On peut faire de la croissance rentable et écologique.

Le bâtiment peut aussi faire de véritables gains en matière de productivité. Nous n’avons pas comme dans d’autres secteurs, une gigantesque barrière technologique à surmonter. Nous savons déjà réaliser le bâtiment zéro carbone. Le défi est plutôt de faire évoluer tous les maillons de notre écosystème pour le faire de façon économique à grande échelle.

La priorité doit être de rénover massivement. Rien qu’en France, on compte 5 millions de passoires thermiques.

Notre univers est très fragmenté et parfois victime de son conservatisme. Mais il faut que tous, des industriels aux maires en passant par les architectes, les artisans ou les grands acteurs du BTP, nous apprenions à travailler encore mieux ensemble en amont des projets.

En nous appuyant plus sur le digital, sur la construction modulaire, sur une logistique optimisée, nous pouvons construire plus vite et mieux tout en baissant la facture de 20 à 25 %. Le bâtiment est à un point de bascule vers une plus grande modernité et innovation.

Quelle doit être la priorité ?

Rénover massivement ! Le bâtiment représente 40 % des émissions de CO2 de la planète et il existe aujourd’hui des solutions nous permettant d’atteindre un impact positif majeur. A l’échelle européenne, 35 millions de bâtiments, soit 70 % du parc existant est à rénover. Rien qu’en France, on compte 5 millions de passoires thermiques.

Et les ménages en auront les moyens ?

Il faut proposer des mécanismes pour aider les ménages les plus fragiles. Mais il y a aussi une large demande solvable. En France, les ménages ont accumulé au cours des trois dernières années 100 milliards d’euros d’épargne supplémentaire. C’est plus d’une année d’investissement dans la rénovation des logements.

La demande est forte parce qu’à la faveur de la crise Covid et du développement du télétravail, les ménages ont fait de l’investissement dans leur logement une priorité. Nos changements de mode de vie tirent le marché de la rénovation.

Sur le neuf, l’inflation poussera peut-être certains chantiers à réduire quelque peu le nombre de mètres carrés par logement, ou à faire des arbitrages sur certains équipements. Mais au vu du prix durablement élevé de l’énergie, tout ce qui concourt à l’efficacité énergétique restera prioritaire.

Un ordre de grandeur : la hausse des coûts d’énergie en Europe représente un surcoût de 250 milliards d’euros en 2022 pour les ménages européens. Tout le monde sait que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Dans l’ancien, on peut faire baisser de 70 % la facture énergie d’une maison. Plus qu’une simple dépense, c’est un investissement qui redonne de la valeur aux biens.

Que faire pour accélérer ?

Il est nécessaire d’agir sur plusieurs fronts en investissant plus de moyens financiers. Le dispositif MaPrimeRénov’a prouvé son efficacité en permettant de contribuer à hauteur de 10 à 15 % en moyenne sur les coûts de rénovations avec près de 600.000 dossiers traités en 2021. C’est très incitatif et je me réjouis que le président de la République ait d’ores et déjà prévu de l’amplifier.

Il faut aussi redéployer certains mécanismes comme celui des CEE, les certificats d’économie d’énergie qui, portés par les énergéticiens, ont montré leur utilité et doivent être démultipliés de façon plus audacieuse.

Cette année, nos trois priorités sont la gestion des prix et la sécurité d’approvisionnement, le bon déploiement de nos investissements et la progression localement de notre feuille de route carbone.

Il faut mieux encadrer certaines aides qui ont hypertrophié par exemple les installations de pompes à chaleur au détriment de l’isolation préalable des bâtiments, ce qui n’a guère de sens.

Il importe enfin d’attirer plus de jeunes, de compétences et d’expertises, en faisant mieux aimer la construction, qui est aujourd’hui un univers moderne, innovant et essentiel pour sauver la planète et mieux vivre ensemble.

Quels sont vos principes de management ?

Diriger c’est un mélange d’exigence, de pragmatisme et d’humanisme. Il faut aussi apporter de la clarté, pour donner du sens aux équipes. De la clarté dans la vision stratégique comme dans les priorités opérationnelles. Cette année, par exemple, nos trois priorités sont la gestion des prix et la sécurité d’approvisionnement, le bon déploiement de nos investissements et la progression localement de notre feuille de route carbone.

Diriger, c’est faire des choix mais c’est aussi faire confiance au niveau local à ceux qui sont au contact des clients. Cela ne veut pas dire faire une confiance aveugle mais cela signifie responsabiliser. C’est pour cela que nous sommes passés d’une organisation matricielle avec un centre de décisions parisien très présent à une organisation par pays. Et notre nouvelle approche se résume sous l’acronyme TEC pour « Trust, Empowerment & Collaboration », (confiance, responsabilisation et collaboration).

Enfin, dans un groupe mondialisé comme le nôtre, présent dans 75 pays, l’accent sur la diversité est primordial. Nous avons huit nationalités au comex et les femmes occupent 6 sièges sur les 16 qui le composent, et près de 90 % de nos directeurs généraux de pays sont des nationaux de leur pays.

Êtes-vous victime de la guerre des talents ou d’une forme de pénurie de main-d’oeuvre ?

Au quotidien, la clé de la performance, c’est en effet d’avoir la bonne personne au bon endroit. Les talents et les équipes sont des sujets d’attention permanents. La théorie de « la grande démission » en vogue aux Etats-Unis en ce moment ne me préoccupe pas trop.

Certes, après le Covid, une partie de la population américaine active a voulu changer d’emploi, ou s’est lancée dans l’auto-entrepreneuriat ou encore est partie un peu plus tôt à la retraite. Cela crée des tensions sur le marché de l’emploi, surtout après les années Donald Trump qui ont réduit l’apport de l’immigration. Mais, les salariés ne se sont pas « évaporés » et Saint-Gobain est attractif.

D’abord, parce que nous avons une raison d’être porteuse de sens : « Making the world a better home » [NDLR : faire du monde une maison commune plus belle et plus durable]. C’est un facteur d’attractivité pour la jeune génération.

Ensuite, nous avons une organisation locale responsabilisante, qui offre des opportunités variées de carrière et qui est pilotée par des managers proches de leurs équipes. Nous mettons l’accent sur la formation et l’apprentissage. En France par exemple, nous avons embauché l’an dernier 5.800 personnes dont plus de la moitié avait moins de 26 ans.

Enfin, en rejoignant Saint-Gobain, leader mondial de la construction durable, votre action a un impact sur le « bien vivre ensemble » de millions de gens. Cela donne du sens.

La division de la société française vous inquiète-t-elle ?

Quand on voit les tensions générationnelles, territoriales et sociales, il y a de quoi être soucieux. La reconduction du président est une bonne chose pour notre pays et pour la construction européenne mais les questions de fond doivent être traitées. A l’image d’une entreprise, le pays a besoin d’un leadership qui soit capable de revoir sa gouvernance pour valoriser l’intelligence collective et donner aussi plus de sens et de reconnaissance à chacun.

Il faut faire de l’industrie une priorité nationale.

Les sujets sont multiples et il n’y a pas de solution simple mais nous devons repenser et simplifier les organisations de certains univers comme l’école ou l’hôpital, tout en dégageant des marges de manoeuvre financières pour mieux valoriser l’engagement essentiel de leurs personnels.

Il faut accélérer sur la transition énergétique et écologique, investir dans l’innovation et enfin, défendre notre industrie. D’abord, parce qu’un emploi dans l’industrie génère environ 5 emplois indirects. Ensuite, parce que notre souveraineté et notre indépendance géopolitique dépendent de la force de nos entreprises industrielles, tous secteurs confondus. Et enfin, parce qu’il n’y a pas de meilleur ascenseur social que l’industrie, qui est indissociable de la classe moyenne au coeur de toute démocratie.

Avec une industrie qui ne représente plus que 10 % de notre PIB, nous ne sommes pas très loin du décrochage. Il faut donc faire de l’industrie une priorité nationale.

Son parcours

Agé de 53 ans, cet X-Ponts, également passé par le Massachusetts Institute of Technology​ et Sciences Po, a rejoint Saint-Gobain en 1999, après quatre années passées au ministère de l’Economie et des Finances (Ciri, direction du Trésor). Après avoir occupé diverses fonctions opérationnelles, il est nommé en 2005 directeur financier du groupe. Par la suite, Benoit Bazin en a dirigé les pôles Distribution bâtiment (de 2009 à fin 2015) et Produits pour la construction (de 2016 à fin 2018), tout étant directeur général adjoint de Saint-Gobain à partir de 2010. Après avoir été nommé directeur général délégué début 2019, il en est devenu le directeur général le 1er juillet 2021, ayant, depuis peu, intégré le conseil d’administration.

Son actualité

Saint-Gobain mène tambour battant sa stratégie de décarbonation. Ainsi, le leader mondial des matériaux de construction lancera le 16 mai la production de verre plat zéro carbone de son site d’Aniche dans les Hauts-de-France. A la fin de l’année, le groupe français fera de même dans le domaine de la production de plaques de plâtre, en Norvège cette fois-ci. Alors, que le groupe a bien traversé la crise sanitaire, bénéficiant notamment de sa nouvelle organisation décentralisée et d’un marché très porteur, il fait l’objet d’une demande de changements forts de la part d’un petit fonds activiste, Bluebell Capital. Depuis 2019, le groupe a procédé à 5,6 milliards de cessions et a mené pour plus de 3 milliards d’acquisitions.


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